La musique, soutien en temps réel de l’action

Si comme dans Link’s Awakening la musique peut être le vecteur d’un scénario, ou comme dans Ocarina of Time un outil indispensable pour avancer dans l’aventure, elle peut aussi de manière plus générale posséder le rôle de guide et aider le joueur à mieux cerner les actions à effectuer.

Des coffres plein d’adrénaline

Voici pour commencer la musique proposée à l’ouverture d’un coffre dans Ocarina of Time.

Cette courte pièce fait entendre deux éléments, correspondant chacun à un événement distinct.

D’abord, l’enchaînement chromatique de gammes par tons, qui s’accélèrent petit à petit et durent juste le temps que Link récupère l’objet posé au fond du coffre.

Opening-ChestEnsuite, les accords renversés de septième de dominantes, là encore enchaînés de manière chromatique, lorsque Link montre au joueur l’objet découvert.

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Cette utilisation simultanée de la gamme par ton et de la gamme chromatique permet d’accentuer la tension qui accompagne l’ouverture d’un coffre : en effet dans celui-ci, Link pourra découvrir un objet fort utile, comme une clé, une carte ou une boussole, indispensable à résolution des énigmes d’un temple, ou à l’inverse recevoir un piège en pleine figure ou n’obtenir qu’un vulgaire rubis vert (monnaie de base du jeu) alors que sa bourse est déjà pleine. Beaucoup plus intéressant, certains coffres renfermeront un nouvel objet d’inventaire qui ouvrira la porte à une multitude d’interactions inédites, à la fois dans la zone où l’objet a été découvert (en général, un donjon dont l’exploration totale ne peut être rendue possible que grâce à cet objet) mais aussi dans de nombreux autres endroits du monde d’Hyrule, certains à découvrir, d’autres déjà explorés mais dont les secrets n’avaient été qu’entrevus, du fait du manque dudit objet. Ainsi, l’ouverture d’un coffre peut être source de grande satisfaction comme de profonde déception, et l’effet de crescendo harmonique de la musique contribue donc à amplifier ces divers sentiments.

Totalement nouvelles dans Ocarina of Time, Ces interventions sonores à l’ouverture des coffres seront reprises et réorchestrées dans tous les opus suivants, en tâchant à chaque fois de s’adapter à l’ambiance générale du jeu.

Ainsi, dans Twilight Princess où les arrangement symphoniques avec choeur sont légions, nous obtiendrons :

Tandis que dans Skyward Sword, nous pourrons entendre de multiples glissandi de lyre, l’instrument des déesses, emblématique de l’opus :

Escapade au lac Faroria : des musiciens dans les coulisses ?

L’un des aspects les plus intéressants de certaines musiques des jeux zelda est leur capacité à évoluer en temps réel. Dans ce paragraphe, il n’est plus question d’étudier quelques mélodies se déclenchant de manière programmée lors d’une action précise du joueur, mais bien le suivi tout en souplesse par la musique d’actions continues. Pour mieux cerner de quoi il en retourne, commençons par écouter ce premier extrait.

Issu de Zelda : Skyward Sword, il s’agit de la musique accompagnant les déplacements à pied de Link au lac Faroria, zone tranquille de la forêt de Firone et large bassin aux eaux turquoises et transparentes dans lesquelles vivent les Paraduses, créatures mi-pieuvres mi hippocampes. C’est une musique d’ambiance paisible et reposante, tout à fait adaptée à ce lieu coupé du monde où séjourne placidement le dragon Firone : utilisant les timbres très doux du vibraphone en tremolo, du glockenspiel ou du melodica, le tout accompagné par quelques congas, marimba ou guitare acoustique, elle dégage une sonorité globale de valse jazz se rapprochant même parfois d’une bossa nova. N’oublions pas non plus d’évoquer le premier thème joué par les cors, qui n’est pas sans rappeler la Valse des Fleurs issue de Casse-Noisette de Tchaikovsky, impression d’autant plus renforcée par des harmonies similaires dans le début des deux différentes pièces, avec l’alternance entre l’accord parfait majeur du premier degré et la neuvième de dominante sans fondamentale, le tout sur pédale de tonique (notons de plus que le nom anglais du lac est Lake Floria, soit Lac des Fleurs). A n’en point douter, nous sommes en présence d’une nouvelle allusion musicale à un monde onirique, qui permet de nous rappeler que jouer à Zelda, c’est avant tout être l’acteur principal d’un conte vidéo-ludique.

A présent, écoutons la version de la musique du Lac Faroria lorsque Link choisit de piquer une tête plutôt que de gambader sur ses berges.

La mélodie et le parcours harmonique restent le même, c’est uniquement l’instrumentation qui change : cette fois accompagné par les pizzicati qui se chargent du balancement de la valse, seul le vibraphone en tremolo assure le thème. Sa sonorité contribue grandement à évoquer le milieu aquatique dans lequel évolue Link, rappelant la sonorité que l’on peut percevoir d’un instrument de musique entendu la tête sous l’eau.

Mais l’utilisation de ces deux versions du même thème ne s’arrête pas à leur simple association aux deux différents états du héros (sur terre ou immergé) : le travail de sound design visant à suivre en musique les actions du joueur se révèle bien plus précis et détaillé. La preuve en vidéo.

Cet extrait d’une scène d’action du jeu se décompose en trois parties.

La première partie (0:00 à 0:34 ) débute avec l’arrivée de Link dans le bassin principal du lac, jusqu’au moment où il entre en conversation avec le dragon blotti dans son chaudron. Nous pouvons déjà constater trois choses : d’abord que les deux versions du thème du lac correspondent bien chacune aux deux états de Link ; ensuite que le changement d’instrumentation d’un état à l’autre s’effectue tout en finesse, avec un très rapide fondu sonore d’une piste à l’autre, quasiment imperceptible ; enfin, que l’angle de caméra joue aussi sur la perception de la musique : lorsque Link est dans l’eau, vu par en-dessous, on entend la mélodie et son accompagnement de pizz comme si elle était mise en sourdine, tandis que lorsqu’il s’approche de la surface ou quand sa tête sort de l’eau et que la caméra devient aérienne plutôt qu’en contre-plongée, bien l’orchestration ne change pas, il se crée un effet d’éclaircissement sonore, un peu comme si c’était Link qui entendait la musique depuis ses oreilles revenues à l’air libre.

La seconde partie (0:35 à 0:58) nous montre quelques changements de pistes sonores en temps réel, malgré l’alternance très rapide entre air et eau.

La troisième partie (0:59 à la fin) ajoute un élément fort intéressant : outre les caractéristiques évolutives de la musique déjà évoquées précédemment, nous pouvons aussi remarquer l’effet que peut avoir le gain de profondeur de Link sur la perception du son. En effet, plus le héros s’éloigne de la surface du lac (de 1:08 à 1:13 notamment) et plus la musique paraît lointaine, au point même de n’être plus qu’un bourdonnement flou, uniquement perçu sous forme de pédale de mi, les pizzicati étant à peine audibles. A l’inverse, lorsque Link remonte, la musique se fait de plus en plus nette : l’accompagnement se distingue de mieux en mieux, et le thème de vibraphone redevient discernable à quelques mètres de la surface, se révélant complètement une fois que Link s’est extrait des eaux limpides du lac en une somptueuse cabriole digne des plus habiles dauphins.

Ainsi, une certaine ambiguité se dessine en ce qui concerne la place de la musique au lac Faroria : est-elle une simple musique d’ambiance, extradiégétique, permettant de caractériser le lieu, ou se peut-il qu’elle soit aussi perçue par Link, compte-tenu de l’analyse effectuée ci-dessus, et qu’elle soit donc une musique de scène, jouée par quelques Paraduses cachés derrière les piliers de pierre de la caverne ? Certes distante de l’action, elle parvient malgré tout à s’adapter en temps réel aux divers changements de situation que subit le héros (à la surface, à l’air libre, en profondeur) ; pour autant, il paraît difficile d’affirmer que c’est bien Link qui perçoit la musique. En réalité, seul le joueur est conscient de ces modifications d’arrangement instrumental et de netteté sonore, mais comme elles correspondent à ce que Link percevrait via ses propres oreilles, cela permet de grandement renforcer l’immersion du joueur dans la peau du héros… et de ce fait dans les eaux agréablement tièdes du lac.

La musique comme guide forestier

Ce travail précis de sound design n’est pas une nouveauté propre à Skyward Sword : dans Ocarina of Time, de treize ans son aîné, certaines pistes sonores évoluent en fonction des actions aléatoires du joueur et permettent même d’inventer des nouveaux mécanismes de jeu : c’est notamment le cas de la musique des Bois Perdus, alors que Link cherche à rejoindre son amie Saria.

Dont voici la partition détaillée.

Lost Woods

Les Bois Perdus sont une zone et même un concept récurrent de la série Zelda : jouant sur des paradoxes spatiaux, le principe est de proposer un labyrinthe composé d’un enchaînement de toutes petites zones explorables, très semblables voire identiques les unes aux autres, mais où plusieurs sorties sont à chaque fois possible. La programmation des jeux veut que seule une de ces sorties puisse à chaque fois conduire à une nouvelle zone encore non explorée (même si elle ressemble comme deux gouttes d’eau à la précédente), les autres sorties agissant comme des téléporteurs ramenant Link à l’entrée des Bois Perdus, l’obligeant à recommencer le labyrinthe depuis le début. Ainsi, ce n’est qu’en se trompant de nombreuses fois et en retenant l’enchaînement précis des différentes directions à suivre que le joueur pourra venir à bout de ce type de zones (sauf coup de chance).

Dans Ocarina of Time, les développeurs ont ajouté un paramètre musical pour rendre cette fastidieuse exploration beaucoup plus ludique : déjà, chaque zone, bien que similaire dans la taille et l’aspect à toutes les autres, possède un attribut particulier (pierre, trou, plante…) qui permet au joueur de la distinguer de ses consoeurs. Mais la nouveauté principale réside dans le fait que le joueur doit à présent dresser l’oreille et être très attentif à l’intensité de la musique d’ambiance qu’il perçoit pour savoir quelle direction choisir : face à une entrée obscure dont il est impossible de savoir si elle débouche sur une nouvelle zone ou si elle entraîne un retour à la case départ, si le volume de la musique devient faible, c’est que le chemin proposé n’est qu’une impasse. Le son stéréo de la Nintendo 64 permet de plus aux joueurs munis d’un casque audio de bénéficier d’une meilleure spatialisation de la musique qui arrivera de ce fait dans l’une ou l’autre des oreillettes (voire les deux), selon que le chemin à suivre part vers la gauche, la droite ou continue droit devant.

Voici en vidéo le cheminement et les hésitations dont peut faire preuve Link dans les Bois Perdus d’Ocarina of Time.

Nous constatons bien qu’à l’approche d’un tunnel, la musique peut soit résonner dans son instrumentation complète, soit peu à peu s’effacer pour ne laisser persister que la rythmique de tambour de basque.

Triforce-Soundcloud

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